Les axes de travail de cette première séance introductive au droit foncier :
• Approche originelle: présentation du foncier au Maroc
• La définition du foncier: Quelles sont les différentes formes de propriété foncière? Quid d’une homogénéité foncière ?
• La spécificité du droit foncier au Maroc
• L’émergence de nouvelles formes foncières
L’absence d’une définition dans les grands ouvrages de lexiques juridiques du droit foncier traduit la complexité de cette matière qui repose sur des réalités multiples et des temps différents.
L’ouvrage de Paul Décroux ne contient pas définition mais simplement un constat de la dualité de la législation marocaine en matière foncière entre le droit musulman et le droit moderne instauré lors du Protectorat.
Il est important de comprendre le foncier en s’intéressant à son étymologie.
Le FONCIER est synonyme de TERRIEN, qui est rattaché à la terre.
Le foncier qui constitue un bien-fonds.
La propriété foncière a pour synonyme le foncier.
Il s’agit de l’ensemble de règles qui régissent les rapports qui existe entre des individus ou des groupes relativement aux terres.
Ces règles définissent la répartition des droits de propriété sur les terres, les modalités d’attribution des droits d’utilisation, de contrôle et de transfert des terres, les modalités et les limitations correspondantes, selon une définition de la FAO.
Le propriétaire foncier est celui qui possède un fonds, des terres.
Le foncier est relatif à un bien-fonds. Par exemple: un crédit foncier est un prêt destiné au financement d’un bien-fonds. L’impôt foncier est une taxe sur un bien foncier, on parle également de taxe foncière.
Avant l’avènement de l’islam au Maroc, la propriété foncière était généralement tribale, où les terres étaient affiliées à des tribus groupements d’individus.
Dans ce système, la propriété foncière tribale se concentrait principalement sur l’agriculture sédentaire, avec des limites naturelles telles que des oasis, définissant clairement les propriétés.
Le Professeur Bouderbala Nejib explique « La terre de tribu, alors, n’était pas une propriété mais un territoire, espace politique dont l’étendue et la localisation dépendaient du poids démographique de la capacité militaire du groupe et des traités passés avec les groupes voisins. La terre n’était pas rare : elle était à la tribu pour autant que la tribu avait des hommes pour l’occuper et qu’elle n’avait pas rencontré d’autres groupes plus puissants dans son expansion. ( Bouderbala N. Les systèmes de propriété foncière au Maghreb. Le cas du Maroc. In : Jouve A.-M. (ed.), Bouderbala N. (ed.). Politiques foncières et aménagement des structures agricoles dans les pays méditerranéens : à la mémoire de Pierre Coulomb. Montpellier : CIHEAM, 1999. p. 47-66.)
La terre était principalement considérée comme un bien commun destiné à être mis en valeur, exploité.
On parlait de terres collectives qui étaient régies par les coutumes locales. La propriété immobilière privée, connue sous le nom de “MELK”, ainsi que les droits réels qui en. découlaient, étaient uniquement établis par des actes notariés musulmans appelés “adoulaires”.
En parallèle, il existait des terres d’État, composées de terres sans propriétaire, abandonnées ou confisquées. Ce domaine constituait l’instrument principal de la politique foncière de l’État.
Sous le protectorat, l’accent était mis sur la prise de contrôle des terres par les colons.
Deux groupes se sont formés : ceux qui soutenaient une appropriation sans aucune réglementation, souvent qualifiée d'”installation sauvage”, et d’autres colons cherchant une acquisition plus durable, axée sur une perspective à long terme.
Le législateur français a finalement opté pour une solution intermédiaire entre ces deux groupes.
Le compromis adopté se présentait de la manière suivante :
• La protection des terres collectives
• La consécration du système de l’immatriculation foncière
Un dispositif de protection des «terres indigènes» fut mis en place (protection des terres de tribu, législation sur le «bien de famille»).
L’article 10 du dahir du 27 avril 1919 sur les terres collectives est une remarquable illustration de ce compromis : «La propriété des terres collectives ne peut être acquise que par l’État ; cette acquisition ne peut avoir lieu qu’en vue de créer des périmètres décolonisation».
Le Dahir du 27 avril 1919 confirmera le caractère inaliénable des terres collectives d’une part tout en instaurant la tutelle de l’Etat sur les terres appartenant aux collectivités.
« Dahir du 27 avril 1919 organisant la tutelle administrative des collectivités indigènes et réglementant la gestion et l’aliénation des biens collectifs, Bulletin officiel du 28 avril 1919, p 375 ».
De plus, des opportunités considérables ont été offertes aux Européens et aux colons pour acquérir des terres, non seulement celles appelées “melk”, mais aussi les terres collectives. Il est important de noter qu’avant la colonisation, des accords avaient été conclus pour faciliter le transfert de terres aux Européens. Il serait plus approprié de parler de “dépeçage” dans ce contexte.
En effet, des acquisitions de terres avaient déjà eu lieu dans le Nord-Ouest du Maroc grâce à la procédure de “protection” établie par la Convention de Madrid du 3 juillet 1880 et l’Acte d’Algésiras du 7 avril 1906, imposés par les puissances européennes.
Par conséquent, au moment de l’établissement du protectorat, certaines terres étaient déjà entre les mains d’acquéreurs européens, ce qui explique également une activité intense dans ce domaine normatif afin de garantir des droits aux colons venant d’arriver.
Le dahir du 27 avril 1919 est toujours en vigueur aujourd’hui, il précise ainsi que « la propriété des terres collectives ne peut être acquise que par l’État et cette acquisition ne peut avoir lieu qu’en vue de créer des périmètres de colonisation».
D’autre part, le dahir reconnaît la propriété de ces terres aux seules collectivités ethniques ayant la personnalité morale et consacre le caractère inaliénable, insaisissable et imprescriptible des terres collectives.
Le système d’immatriculation foncière implique d’attribuer à chaque bien immobilier une sorte de “certificat d’identité” en enregistrant toutes les transactions juridiques affectant sa situation dans un registre tenu par un fonctionnaire public.
La décision d’immatriculation conduit à la création d’un titre foncier, effaçant tout droit antérieur non mentionné dans ce document.
Les conséquences de ce modèle
En outre, cette décision a un double effet : d’une part, elle modifie la juridiction compétente et la législation applicable, en faisant passer l’immeuble immatriculé sous la compétence des nouveaux tribunaux créés à cet effet, et en soumettant la propriété foncière aux dispositions du code foncier de 1915, qui est en grande partie basé sur le droit français.
La finalité de la procédure d’immatriculation
Sous le régime du Protectorat, les autorités ont mis en place une procédure d’immatriculation dans le but de garantir la propriété privée, principalement au profit des acheteurs étrangers.
Le Dahir du 12 août 1913 a instauré au Maroc un système d’immatriculation facultatif des biens immobiliers en les enregistrant dans un registre foncier.
Cette procédure administrative est supervisée par le conservateur foncier, responsable de la rédaction des titres de propriété et de leur inscription dans les registres fonciers. Il convient de noter que cette démarche n’était pas conçue pour protéger les intérêts des Marocains.
L’influence majeure de l’acte de Torrens
L’Acte Torrens australien a établi la suprématie des registres fonciers, lesquels seuls établissent et officialisent les droits de propriété et tout autre droit réel sur un bien immobilier donné. Le système d’immatriculation foncière s’inscrit dans le cadre de la politique de développement territorial menée par l’Administration coloniale.
L’Acte Torrens de 1858, mis en place en Australie, a instauré un système de “création administrative” de la propriété privée foncière.
Il visait à la fois à éliminer les droits coutumiers fonciers et à établir un registre officiel des terres, appelé “registre foncier”, équivalent à un “état civil” pour les biens fonciers.
En vertu de la théorie du domaine éminent, l’État a acquis les terres conquises, ce qui a entraîné une extension du “makhzen” et la reprise sous sa juridiction des terres tribale ainsi que des terres affectées à des fins publiques.
Les terres du makhzen
Le législateur français a élargi la sphère du “makhzen”, introduisant une distinction entre le domaine public et le domaine privé de l’État.
Le régime foncier marocain repose sur cette triple assisse: Droit musulman, droit coutumier et droit dit moderne provenant du Protectorat. Cette superposition de régime rend le droit foncier particulièrement difficile à comprendre.