La période post-coloniale
Après l’indépendance, un processus de récupération des terres de la colonisation et d’expropriation des grands propriétaires qui avaient collaboré avec les colons a commencé.
La complexité du système foncier au Maroc découle également de la coexistence de biens immobiliers enregistrés et non enregistrés. En effet, un pourcentage considérable de biens fonciers, notamment dans les centres urbains historiques.
Paul Décroux en (1972) cite huit : terres immatriculées, habous, droit coutumier musulman, terres collectives, terres guich, terres situées a l’intérieur des périmètres d’irrigation, biens de famille, lotissements.
Mesureur en dénombrait huit en 1921, dont sept «indigènes» (terres mortes, terres melk, terres collectives des tribus, terres makhzen, terres guich, terres des tribus de naiba, biens habous) et une moderne (terres immatriculées).
Paul Pascon (1971) signale de son cote, en 1971, l’existence de sept statuts principaux et de vingt-sept sous-statuts.
Pour simplifier,on peut faire une distinction entre les terres “melk,” qui sont des propriétés foncières privées individuelles, et les terres non-“melk,” qui englobent les propriétés collectives, les propriétés collectives guich, les habous et les terres domaniales.
Ces dernières sont considérées, vis-à-vis des tiers, comme des propriétés privées, appartenant soit à l’État, soit à des collectivités
Elles peuvent être enregistrées ou non. La principale différence par rapport aux terres “melk” réside dans les règles de jouissance, de disposition et de succession établies par des dispositions spécifiques qui les régissent.
En général, ces terres sont inaliénables, imprescriptibles, insaisissables, et leur location est soumise à des contraintes.
Il s’agit de la forme de propriété foncière privée conforme au droit romain (comprenant les droits d’usage, d’abus, et de jouissance des produits). Les terres “Melk” sont détenues par une ou plusieurs personnes qui ont la pleine jouissance de ces biens.
La propriété foncière privée se divise à son tour en deux catégories : la “Moulkia” (qui concerne les biens non enregistrés, mais dont la propriété est établie par des actes notariés, ce cas étant largement majoritaire) et les biens titrés, qui sont enregistrés sous un numéro dans les registres de la conservation foncière.
La notion de Moulkiya
Le terme “moulkiya” est utilisé pour désigner une forme de propriété foncière au Maroc. Il concerne les biens non enregistrés, mais dont la propriété est établie par des actes notariés. Contrairement aux biens titrés, les biens “moulkiya” ne sont pas enregistrés avec un numéro spécifique dans les registres de la conservation foncière, mais ils sont reconnus comme appartenant à un propriétaire légitime en vertu de documents juridiques tels que des actes notariés.
Selon la définition du Cornu, la possession est une « détention ou jouissance d’une chose ou d’un droit que nous tenons ou que nous exerçons par nous-mêmes, ou par un autre qui la tient ou qui l’exerce en notre nom. Une telle possession, exercée avec une âme de propriétaire, permet d’acquérir la propriété par la prescription. Elle s’oppose à la détention précaire, laquelle implique la reconnaissance du droit d’autrui ».
Les conditions de la possession
Article 240 du CDR : La validité de la possession est soumise aux conditions ci-après :
1- avoir la mainmise sur l’immeuble ;
2- agir en propriétaire de l’immeuble ;
3- revendiquer la propriété de l’immeuble qui doit également être publique ; 4- absence de contestation de la propriété de l’immeuble ;
5- continuité de la possession durant la période prévue par la loi ;
6- outre les conditions précitées, et en cas de décès du possesseur, l’aliénation de l’immeuble doit être ignorée.
Glose de l’article 240 du CDR :
La personne qui revendique la possession, doit se comporter comme le véritable propriétaire vis-à-vis des tiers. Elle dispose de l’accès à l’immeuble dans sa totalité. Cette revendication doit être de notoriété publique, aucune autre personne ne doit affirmer que le bien est susceptible de lui appartenir. La possession exige également une durée longue et continue. La revendication permet d’annuler la transmission du bien dans le cas où le possesseur serait décédé avant l’accomplissement de la procédure.
La possession prolongée d’un bien foncier permet d’écarter toute revendication de propriété.
En effet, le droit musulman ne reconnaît pas la prescription acquisitive, mais il reconnaît la prescription extinctive de l’action en revendication en faveur du possesseur.
Une fois une décennie écoulée, le possesseur ne peut plus être contesté et est définitivement reconnu comme propriétaire selon le droit musulman.
De plus, lorsque la possession s’étend au-delà de quarante ans, elle offre une protection encore plus solide, notamment vis-à-vis des proches. Il est également possible, dans le cas d’une propriété foncière “melk,” d’établir un acte de propriété en conformité avec le Dahir de 1944, comme l’a indiqué Paul Décroux.
Les articles 250 et 251 du dahir n°1.11.178 du 22 novembre 2011 portant promulgation de la loi n° 39.08 portant code des droits réels.
Article 250 : En cas de possession conforme aux conditions, ininterrompue durant dix années entières par une personne étrangère à la copropriété, alors que le titulaire du droit est présent, informé et se tait sans empêchement et sans excuses, il acquiert par sa possession la propriété de l’immeuble.
Article 251 : Si la possession est exercée par de proches parents qui ne sont pas copropriétaires et en l’absence de conflit, le délai est de quarante ans ; il est réduit à dix ans, en cas de conflit.
Du fait de son mode de transmission successorale, le bien melk est souvent en indivision. Le Dahir portant code des droits réels explique à l’article 25 que : Les co-indivisaires peuvent, s’ils sont tous d’accord entre eux partager la chose commune de la manière qu’ils veulent a condition que le partage soit effectué conformement aux lois et aux normes en vigueur».
Article 27 : Nul ne peut etre contraint de rester dans l’indivision et tout co-indivisaire peut demander le partage et toute condition contraire a cela est nulle et non avenue.
Article 292 : La préemption est la faculté pour un copropriétaire dans un bien indivis ou un droit réel indivis de se substituer, dans une vente immobilière, a son copropriétaire après acquittement de son prix ainsi que les frais de contrat nécessaires et les dépenses nécessaires utiles si besoin est.
Le droit de préemption est une faculté de celui détient une part indivis dans un bien melk de se glisser dans la vente immobilière de son copropriétaire.
La vente d’un bien immobilier peut être réalisée de trois manières différentes au Maroc :
Ce régime désigne les territoires des tribus, transformes par la législation du protectorat (dahir du 27 avril 1919, toujours en vigueur) en propriétés inaliénables de collectivités ethniques, soumises a la tutelle de l’administration du Ministère de l’Intérieur.
Selon cette législation, les collectivités, dotées de la personnalité morale, sont propriétaires à titre collectif d’un domaine qui peut être délimite et immatricule.
Les chefs de famille ont un droit de jouissance, qui est également inaliénable, sur une partie de la propriété collective, laquelle n’est ni délimitée ni quantifiée. La législation de 1919 intervient principalement pour réguler les relations entre les collectivités et l’État, c’est-à-dire pour organiser le pouvoir de tutelle. Les règles de gestion interne des terres collectives, telles que les méthodes de partage, d’accès aux terres et d’organisation des parcelles collectives, sont laissées à la discrétion des assemblées locales appelées “jemaa”.
Les terres collectives ont été fortement impactées par la colonisation. Par exemple, on peut citer l’application de l’article 10 du dahir de 1919, qui a permis la création de zones de colonisation, ainsi que l’article 8, qui a autorisé des “Aliénations perpétuelles de jouissance” en faveur des colons.
Il y a eu abrogation des articles 8 et 10 du dahir de 1919. Le dahir n°1.69.30, relatif aux terres collectives situées dans les périmètres d’irrigation, transforma celles-ci en propriétés melk indivises. Ce changement ne concerne qu’une petite partie des terres collectives, mais il est envisagé d’en étendre l’application à l’extérieur des périmètres d’irrigation. D’où l’émergence d’un processus de Melkisation des terres collectives.
• Inaliénable : ne pouvant être cédées ou vendues ;
• Imprescriptible : ne pouvant être acquises par prescription acquisitive comme c’est le cas pour le melk (c’est-à-dire par la possession continue pendant 10 ans) ;
• Insaisissable : ne pouvant faire l’objet de saisie, ces terres ne peuvent pas non plus servir de garantie aux prêts hypothécaires ; Mais elles peuvent être assujetties à des limites au droit de location et qu’une part théoriquement d’égale superficie revient à chaque ayant droit (Dahir du 27 avril 1919).
Ce texte toujours en vigueur détermina les limites administratives des terres collectives, fixant ainsi les tribus dans ces limites. Il établit la tutelle du pouvoir central sur ces terres, et en expropria certaines pour y installer des périmètres de colonisation.
Les communautés ethniques sont représentées par une assemblée de délégués, sélectionnés conformément aux traditions de chaque tribu. Leur principale responsabilité réside dans la gestion du patrimoine, y compris le partage des droits d’usage entre les membres de la tribu.
Le “naïb” joue un rôle central en tant que représentant de la communauté, défendant ses intérêts et servant également de mécanisme de contrôle sur l’autorité au sein des groupes collectifs.
Le Ministère de l’Intérieur exerce un contrôle sur les communautés ethniques en ce qui concerne la location ou la cession de terrains, ainsi que les demandes d’immatriculation. La Direction des Affaires Rurales, rattaché au Ministère de l’intérieur, est responsable du suivi des dossiers relatifs aux terres collectives conformément aux directives du Ministre. Le Conseil des Tutelles joue un rôle crucial en tant qu’organe d’arbitrage et de décision, placé sous la direction du Ministère de l’Intérieur, chargé de statuer sur les conflits au sein des communautés ethniques ou entre elles. Ses compétences incluent la gestion des listes des ayants-droits, la distribution des fonds et le traitement des dossiers de cessions de terres collectives.
La Circulaire 333 du 27 novembre 1978
L’acquisition de terres collectives par les collectivités locales inclut la cession de terres collectives à des entités publiques ou collectivités locales en vue de la réalisation de projets à caractère économique et social.
La finalité de la circulaire 333 réside dans la définition de la méthode de cession des terres. Elle précise, en plus du prix au mètre carré, que des parcelles de terres ou des logements doivent être octroyés en compensation des cessions, afin de protéger les ayants-droit de la précarité et de l’exode vers les bidonvilles.
Le rôle de l’administration dans la gestion des terres collectives
Le Ministère de l’Intérieur exerce une tutelle sur les collectivités ethniques, pour tout ce qui concerne la location ou cession de terrains et les réquisitions d’immatriculation.
La Direction des Affaires Rurales de ce Ministère est chargée du suivi des dossiers des terres collectives selon les directives du Ministre.
En 1969, le statut légal des terres collectives situées à l’intérieur des périmètres d’irrigation a été modifié. Pour favoriser leur intensification, elles ont été soumises à un statut similaire à “melk” avec certaines limitations. Sur le plan juridique, ces terres appartiennent actuellement en copropriété aux individus qui avaient le statut d’ayants-droit. Progressivement, la gestion des terres collectives a évolué vers une individualisation de facto des parcelles de culture.
La dévolution successorale dans le cadre de la melkisation
Un mode spécifique de transmission successorale a été établi, visant à éviter l’augmentation du nombre de copropriétaires (attribuer une part à un seul héritier). Dans ce cadre, la cession des parts est autorisée uniquement entre les copropriétaires. La division en parcelles individuelles est autorisée uniquement si cela crée des propriétés d’une superficie minimale de 5 hectares.
La dévolution en fonction des tribus
Les inégalités persistent dans la répartition et la transmission successorale des terres. En 2009, six femmes “soulaliyates” ont saisi le tribunal administratif de Rabat pour revendiquer l’accès à des parcelles de terre. Le 23 juillet 2009, le Ministère de l’Intérieur a émis la circulaire n°2620 à l’attention du wali de la région d’El Gharb-Charda-Béni Hssen et du gouverneur de la province de Kénitra. Ce texte a été conçu comme un pilote et a accordé aux femmes de la province de Kénitra le droit de bénéficier, au même titre que les hommes, des compensations financières provenant des cessions de terres.
Les conséquences ont été significatives, avec 800 femmes inscrites sur les listes des ayants-droit qui ont pu pour la première fois bénéficier d’indemnités liées aux cessions de terres.
Les circulaires du MIN et les femmes
Les femmes “Soulaliyates” ont vu la portée de la mesure étendue à l’ensemble des provinces du Maroc grâce à une circulaire datée du 25 octobre 2010. Cette extension est
conforme à la Constitution marocaine et est en accord avec le Pacte des droits civils et politiques de 1948. De plus, une circulaire de 2012 a élargi les droits des femmes en leur
permettant de bénéficier de la répartition de parcelles de terrain à vocation agricole et d’hériter de bénéficiaires décédés.
La dévolution successorale des terres collectives aux femmes
Le 10 octobre 2013, dans une décision historique, le tribunal administratif de Rabat a consacré le droit aux femmes Soulaliyates d’hériter, dans le respect des préceptes de la charia musulmane selon lesquels la femme hérite de la moitié de la part de l’homme. Une décision du Conseil des tutelles du 18 juin 2013 avait reconnu cette possibilité. Mais il y a eu un recours en annulation déposé par trois hommes Soulaliyates devant le tribunal administratif de Rabat.
La loi n°62.17 relatif a la tutelle administrative sur les communautés Soulaliyates
L’article 6 de la présente loi dispose que « les membres des communautés Soulaliyates, hommes et femmes, jouissent de la propriété collective, conformément à la répartition réalisée par les Nouabs (…)
L’article 9 disposait que « la communauté soulaliya choisit parmi ses membres qui jouissent de leurs droits civils, hommes et femmes, ses Nouabs qui constituent l’instance des Nouabs (…) ».
Ainsi, l’élection se substitue à la nomination et les femmes peuvent devenir Naiba, c’est à dire représentante.
La notion de résidence et le statut matrimonial des femmes soulèvent des questions importantes. La reconnaissance du statut d’ayant-droit est soumise à la condition que le membre réside effectivement au sein de la collectivité. Cette condition pose plusieurs problèmes : tout d’abord, la notion de “résidence” n’est pas clairement définie, et de plus, de nombreuses femmes appartenant à ces tribus ont été contraintes de quitter leurs terres en raison de changements économiques, sociaux, voire matrimoniaux.
La circulaire n°6303 du 13 mai 2020 relative à la privatisation des terres collectives dans les zones non irriguées.
L’acquisition de la propriété privée des terres est soumise à plusieurs conditions, notamment le statut d’ayant-droit, la résidence permanente sur la terre en question, l’engagement dans une activité agricole, et la pleine jouissance des parcelles collectives. Cependant, pour les femmes, un problème se pose du fait que leur statut d’ayant-droit est relativement récent. Par conséquent, elles ne jouissent pas encore pleinement des parcelles communautaires.
Cette transition a eu des conséquences significatives, en particulier lors du passage du statut collectif à celui de “melk”. L’établissement initial des listes des ayants-droit pour la conversion en “melk” a été une tâche difficile et n’est pas encore achevé des décennies après son initiation.
En plus de la complexité de l’établissement de ces listes, il faut également prendre en compte les litiges fonciers entre les communautés ethniques concernant les limites des terrains. En effet, lorsque les terres ne sont ni délimitées ni immatriculées, ce qui est le cas de la majorité des terres collectives, cela peut provoquer des tensions entre les groupes ethniques.